Ils sont tellement beaucoup plus vieux que nous. Ils nous ont littéralement vu naître, les grands arbres, véritables berceaux de l’humanité. Nos vies se sont entremêlées pendant des millions d’années et nous leurs devons tout. Nous portons encore en nous aujourd’hui les traces indélébiles de cette merveilleuse symbiose dans notre charpente, dans nos phalanges et jusque dans notre ADN.
J’imagine que ces grands êtres majestueux qui nous ont vu grandir doivent être assez perplexes sur l’évolution de leur progéniture. Pourtant, au cours des millénaires, ils ont tout vu, tout senti et ressenti – nos rires, nos larmes, nos sueurs et nos cœurs battants. Ils connaissaient nos aspirations, nos terreurs de la grande steppe, nos violences et nos folies. Comme des parents attentifs, ils nous ont toujours accueillis les bras ouverts pour nous nourrir et nous protéger. Quand à nous, il nous serait difficile de dire que nous les avons toujours remerciés. En surface il semblerait même que nous sommes parfaitement indifférents à leur misère : la grande entreprise de leur surexploitation à l’échelle mondiale en est la preuve déchirante.
Et pourtant rien ne pourrait-être plus loin de la vérité. Soyons très clairs, l’être humain adore l’arbre. Comment pourrait-il en être autrement? Quel enfant ne s’est pas émerveillé devant la splendeur et la puissance émanée par ces êtres hors-pair ? Ce sens de sécurité inégalable qu’on éprouve à jouer à l’ombre des grands tilleuls pendant les grosses chaleurs d’été ; ce sens de découverte que l’on ressent en grimpant dans un noisetier à la chasse de la plus belle noisette qui saura si bien se cacher dans son écrin de vert ou encore partir en guerre, avec une épée de bois de noisetier bien sur, contre les grands pins du coteau. Rassurez-vous, ils savent parfaitement se défendre comme en témoigne les nombreuses égratignures sur le corps du jeune guerrier intrépide, mais ils ne sont jamais méchants.
L’enfant en nous sait aussi communiquer à voie basse avec les arbres, sait reconnaître cette communion qui se manifeste si naturellement rien que par le côtoiement. Chaque arbre qui nous entoure est habité d’une sagesse si époustouflante qu’elle nous éclabousse sans aucun effort et tout d’un coup, comme sous l’effet d’une potion magique, nous respirons mieux. Nous sommes soudainement capables de nous nourrir de leur savoir universel. De cette compréhension profonde des saisons et des cycles de la vie leur vient cette confiance que, malgré la rigueur de l’hiver, le printemps suivra avec ses couleurs vives, ses senteurs fraîches et ce merveilleux sentiment de renaissance où tout semble à nouveau possible.
L’arbre enseigne le yoga mieux que quiconque. « L’arbre » est une pose délicieuse, pour laquelle avec les pieds bien ancrés dans le sol, on peut en toute confiance étendre les bras en offrande sur l’infini. Cette connexion, cet équilibre fragile entre « Mère Terre » et « Père Ciel » si précieuse à la culture Navajo, l’arbre l’a depuis toujours manifesté. Au reste de l’humanité de s’en imprégner.
« Los Arboles Internos » raconte tout cela et tellement plus. A sa façon bien à lui, Orlando nous entraine dans une dance magique entre arbre et humanité. Dans cette étonnante chorégraphie, les deux familles se confondent, s’embrassent, se tiennent par la main, pleurent ensemble, rient aux éclats, jouent à cache-cache, puis se relancent main dans la main dans une farandole effrénée. De cette œuvre poignante qui rayonne par son intensité, par la beauté des messages cachés et par sa capacité à nous faire vivre cette complicité unique entre ces deux mondes de sang et de sève, se dégage une tendresse d’une profondeur insondable, un amour plus que divin que rien ni personne ne pourra jamais séparer, même pas Dieu.
Magda et François
La Jolla, le 18 juin 2015